« Est-ce que vous connaissez la série Sex Education sur Netflix ? ». Devant moi, les deux cents lycéens rassemblés dans l’amphi me répondent en cœur un « Oui ! », amusés par la question. « Vous voyez qui est la maman d’Otis ? Eh bien, je fais le même métier ! ». Leurs visages se décomposent, la gêne est palpable. « Mais pas de la même façon ! ». D’un coup, ils se décrispent. « Si je suis venue vous rencontrer, c’est parce que dans mon cabinet de thérapeute de couple et de sexologue, je vois des souffrances qui auraient pu être évitées si on nous avait appris certaines choses sur l’amour et la sexualité. Aimer et se laisser aimer dans la durée n’est pas inné ! Cela demande de développer des compétences qui s’apprennent.
Vous passez un temps incalculable à apprendre les mathématiques et la géographie mais quasi rien pour apprendre à aimer.
Or, la qualité de notre vie dépend de la qualité de nos relations ! ». J’ai maintenant tous leurs regards, la séance d’éducation affective, relationnelle et sexuelle peut commencer.
Ces lycéens-là sont des privilégiés. Quel établissement scolaire en France respecte la loi Aubry de 2001 qui impose au moins trois séances par an et par niveau ? Dans notre pays, les enfants et les adolescents sont majoritairement laissés sans accompagnement pour faire face aux images pornographiques auxquelles ils sont exposés depuis le primaire comme nous le savons très bien[1], sans réponses à leurs questions sur les transformations de la puberté, sans espace de réflexion sur leurs interrogations liées leur identité, sans explication sur ce que signifie le consentement, sans adultes à qui confier des situations de violences sexuelles ou psychologiques vécues, sans discours sur ce qu’est l’amour humain pour le différencier de ce que ça n’est pas.
Puisque la nature a horreur du vide, Netflix est venu le combler. Créer une série originale qui répondrait à toutes les questions que se posent les adolescents sur le sexe et l’amour, c’est le carton assuré puisqu’ils n’ont rien, ces jeunes, pour les aider.
Avec Sex Education, le géant du streaming américain a pris en charge ce que nous avons collectivement délaissé, par lâcheté.
Les affiches d’adolescents simulant un orgasme placardées dans nos villes pour promouvoir la série vous choquent car elles peuvent faire écho à l’univers de la pédocriminalité ? Vous avez été écœuré par le trop plein de situations que la série essaye de traiter dès le premier épisode comme si la réalisatrice avait une liste de problèmes d’ados à cocher et que le challenge était de les couvrir, absolument tous ? Vous êtes préoccupé par la place donnée dans cette nouvelle saison à la transsexualité, les informations très précisément transmises pour faire sa transition et les témoignages sans aucune nuance sur le changement de sexe : « J’ai fait une mammectomie l’année dernière, c’est la meilleure décision de toute ma vie. Je sens que je peux enfin être moi-même » ? C’est que vous êtes réac’ parce que la série est cool. On doit tous l’aimer !
Ça n’aurait dû être qu’une production à la Netflix parmi tant d’autres, qu’on aime ou qu’on déteste, guidée par le fameux cahier des charges de la plateforme sur la représentation des « minorités » (qui désormais sont quasi des majorités). Mais en concluant un partenariat avec le Planning Familial, la série prend une tournure politique.
L’affaire est officielle : Netflix ne propose plus un divertissement mais veut véritablement faire l’éducation sexuelle de nos adolescents. On peut entendre Sarah Durocher, la présidente du Planning Familial, saluer la série au micro de France Inter : « Oui, Sex Education est une source d’information, une source de questionnement. Ce qu’on a beaucoup apprécié, c’est que c’est une série très inclusive, avec des personnages très différents, des sexualités très différentes et des genres très différents, ce qui montre une certaine ouverture d’esprit et ça peut amener à se questionner ». Par conséquent, nous sommes donc en droit de nous intéresser à ce que Netflix cherche à susciter comme questionnement chez nos enfants.
« Suis-je une femme ou peut-être qu’en réalité, je suis un homme dans un corps de femme ? », « Suis-je queer si je suis amoureux d’une fille qui fait sa transition ? ». Non, je ne fais pas une obsession sur la question de la transsexualité. Depuis la sortie du confinement, dans quasi tous les lycées où j’interviens, des jeunes demandent à changer de sexe et ça, c’est une toute nouvelle réalité. En 2016, j’écrivais un essais sur les jeunes et la sexualité qui s’ouvrait par un chapitre sur l’exposition des mineurs à la pornographie. Aujourd’hui, si je devais le réécrire, je commencerais par le sujet de transsexualité.
En 7 ans, le questionnement des adolescents a changé. Est-ce qu’il vient du plus profond d’eux-mêmes ou a-t-il été suscitée parce qu’ils ont vu ou entendu ? Je n’ai pas la réponse mais la question, même si je sais qu’elle dérange, doit d’être posée.
« Ne confiez pas votre imaginaire à n’importe qui ! » nous conjure Canal Plus. Ils ont parfaitement raison.
Alors on fait quoi ? On laisse faire Netflix ou on prend son courage à deux mains et on s’engage pour l’éducation à l’amour ?
[1] Un enfant sur trois en dessous de 12 ans a déjà vu des images pornographies.
Tribune publiée dans Le Figaro le 7 octobre 2023.
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