Le Figaro Vox : décryptage du phénomène 50 nuances de Grey vs le procès du Carlton

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FIGAROVOX/ENTRETIEN – Tandis que DSK est villipendé pour ses pratiques sexuelles, le film 50 Shades of Grey devient un véritable phénomène de société. La sexologue Thérèse Hargot s’est penchée sur ce paradoxe.

Diplômée d’un DEA de philosophie et société à la Sorbonne puis d’un master en Sciences de la Famille et de la Sexualité, Thérèse Hargot est sexologue. Elle tient un blog et a publié un livre «Pour une libération sexuelle véritable» aux éditions François-Xavier de Guibert.

Le procès du Carlton accuse les pratiques sexuelles extrêmes, mais celles-ci sont glorifiées par Fifty Shades of Grey. Comment expliquer cette ambivalence de fascination et répulsion?

C’est toute la question du fantasme. Le principe du fantasme, pensée érotique, est de susciter l’excitation par l’imaginaire. On ne peut pas le réaliser en tant que tel, car il y a dans la société certaines règles à respecter même si, depuis la libération sexuelle, la société pousse à écouter ses fantasmes à tout prix. On a donc d’un côté un livre, maintenant un film, qui met en scène un fantasme dans le cadre d’un imaginaire, et de l’autre, le passage à l’acte dans la réalité de ces fantasmes. Mais la réalité s’avère beaucoup plus sordide et moins excitante, car le fantasme conduit à chosifier la personne. Ce qui va être excitant dans l’imaginaire peut être dégradant et punissable par la loi s’il est exécuté dans la réalité. Les descriptions de l’affaire du Carlton montrent bien que le fantasme n’est pas fait pour se réaliser en tant que tel. Il est fait pour autre chose.

Comment expliquer le succès, ou en tout cas, la curiosité pour Fifty Shades? S’agit-il d’un phénomène de société?
la réalité s’avère beaucoup plus sordide et moins excitante, car le fantasme conduit à chosifier la personne.

Avec la prédominance du mouvement féministe, il n’est plus permis de dominer socialement les femmes, ce qui est une excellente chose! Mais en obtenant l’égalité, les femmes se sont également enfermées dans le contrôle et la prise en charge de tout: elles doivent être de bonnes épouses, de bonnes mères, de bonnes employées, de bonnes amies…
Il y a donc une polarisation entre des femmes qui sont dans le contrôle, et des hommes interdits d’être machos. Ce qui est très interpellant, avec Fifty Shades, c’est de voir que des millions de lectrices se sont passionnées et excitées pour une histoire de domination. Vient se rejouer dans l’intimité sexuelle des rapports de domination et soumission qui ne peuvent plus se vivre dans le contexte social. On observe le même phénomène avec l’addiction de nombreux hommes à la pornographie, qui représente un déferlement d’humiliation et de domination envers les femmes. Ce n’est pas n’importe quel fantasme qui est mis en scène. Le slogan publicitaire de Fifty Shades est éloquent: «Lâcher prise». Il s’adresse aux femmes qui sont dans le contrôle, et qui veulent pourtant s’en remettre à quelqu’un. Ce phénomène est une remise en cause d’un certain féminisme vantant l’indépendance et la maîtrise absolue.

Fifty Shades serait donc une fausse réponse à un vrai besoin?

Le sadomasochisme surfe sur quelque chose de très important pour une femme: sentir chez l’homme qu’elle aime une force et une virilité. Ces pratiques seraient donc le seul moyen pour certains hommes d’apparaître comme virils, tandis que certaines femmes seraient en recherche de «vrais» hommes. Nous sommes dans une grande crise de la masculinité, où il n’y a plus d’espace possible pour être pleinement homme, entre l’asexué et le macho violent.
DSK et le Carlton viennent rappeler qu’il y a une limite dans la quête effrénée du plaisir, et à quel point certains fantasmes ne peuvent pas être réalisés.
Or, il y a une autre façon d’être homme, et de le montrer à une femme, non pour la dominer, mais pour la sublimer. En outre, il y a un vrai besoin que les femmes puissent avoir accès à un imaginaire érotique. Elles sont trop coincées, et ont le droit d’être éveillées au désir par l’érotisme. Mais pas avec Fifty Shades, dont la forme est mièvre et ridicule, et le fond dans un extrême de domination. De plus, tout ce battage autour de ce pseudo-sadomasochisme mièvre banalise ces pratiques, formate les fantasmes, et finalement chosifie les personnes, soumises à des désirs égoïstes. DSK et le Carlton viennent rappeler qu’il y a une limite dans la quête effrénée du plaisir, et à quel point certains fantasmes ne peuvent pas être réalisés.

Est-ce que les fantasmes sont des ingrédients indispensables au couple sexuellement heureux?

Ce qui est indispensable, c’est de savoir bien utiliser l’imaginaire érotique. Toutes ces images peuvent provoquer une excitation, et le couple heureux est celui qui sait comment partager cet imaginaire en commun. La détente, et l’abandon suscités ne sont pas dirigés vers le plaisir en lui-même, celui d’une seule personne, mais vers la rencontre entre l’homme et la femme. Le fameux «lâcher prise» permet alors l’union et l’intimité sexuelles, vécues à deux. Il y a un art pour utiliser ces fantasmes. Ils sont au service des personnes, et non l’inverse.

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