Réaction: qu’a-t-on fait de l’ambivalence du désir?

Ça ricane chez les pro-life cette semaine: le Time US titre sur la défaite des pro-choice, quarante ans après le droit à l’avortement. Devant un accès de plus en plus compliqué, le magazine s’interroge: “What choice?”. Bien sûr, la guerre sans merci menée par ces deux camps qui successivement perdent ou gagnent des batailles, nous est contée. Mais l’accent est ailleurs. Il est en fait question de l’essoufflement d’un mouvement : où est la relève? C’est de ma génération dont on parle. La relève, je devrais logiquement en faire partie. Et pourtant, je suis incapable de m’identifier aux représentants des deux camps, de m’engager dans leur bataille.

Parmi mes amies et les femmes que j’ai rencontrées, plusieurs ont eu recours à l’avortement. Aucune d’elles n’est devenue activiste. Peut-être parce qu’elles n’ont pas dû se battre pour trouver un médecin? Peut-être parce qu’elles avaient le droit? Peut-être parce que c’était pris en charge financièrement par leur assurance maladie? On nous traite alors d’enfant pourri gâté, à qui tout est offert sur un plateau d’argent: ingrate par notre manque de reconnaissance, individualiste par notre manque d’engagement.

Il y a aussi ceux qui s’offusquent qu’elles ne considèrent pas l’avortement comme un acte gravissime, l’origine d’une détresse immense. Peut-être parce qu’elles ne vont plus à la messe? Peut-être parce qu’elles osent en parler? Peut-être parce qu’elles ne savent pas le prix d’un enfant? On nous traite alors d’irresponsable, de fille légère et inconsciente. On nous parle du bébé mais on ne voit que des nausées. On défend sa vie alors qu’il déstabilise complètement la nôtre.

Je refuse qu’on nous traite de la sorte. Je refuse qu’on nous accuse ainsi. Pendant quarante ans, vous avez fait de la grossesse un combat politique et idéologique. Vous avez fait de l’enfant un choix ou un roi. Vous nous forcez à être libre mais la liberté n’est pour vous qu’une question de droit. Vous voulez qu’on rallie votre combat, qu’on renforce vos rangs. Mais c’est impossible car vos idées vous ont aveuglés. Enfermés dans un système idéologique, vous avez fini par oublier la réalité de l’expérience de la maternité.

Depuis l’accès à l’avortement, nous soumettons chacune de nos grossesses à une question fondamentale: vais-je le garder? Formidable liberté certes, mais écrasante responsabilité: dans les deux cas, nous voilà seule à devoir assumer le fait de refuser ou donner la vie à l’enfant. A la moindre difficulté, on nous répond: “c’est toi qui l’a choisi, il faut que tu assumes maintenant!” On se sent enfermé dans la solitude, dans un devoir d’être heureuse car c’est notre choix. Le rapport à l’enfant chez une femme est pourtant beaucoup plus complexe qu’on nous le fait croire. L’enfant, on le veut et on le veut pas. On l’aime et on le déteste à la fois. On le désire et on le regrette. Il nous fascine et nous repousse. Il est la vie mais nous annonce la mort.

Comme la majorité des jeunes de ma génération, je suis mal à l’aise avec le combat pro-choice et  pro-life. Leurs idéologies s’entre-choquent avec ma réalité de femme et de mère. En réduisant la maternité à un choix, il n’y a plus de place pour que s’exprime l’ambivalence du désir.

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