Lecture: “Je consens, donc je suis…”

A l’heure où la Belgique étend l’euthanasie pour les mineurs et que la France est en pleine controverse sur la prostitution, je vous encourage très vivement à réfléchir sur la sacralisation de la nouvelle norme morale qui sous-tend chacun de ces débats de société (et tant d’autres encore): le consentement.

La modernité se flatte de n’avoir gardé, comme critère départageant les actes licites et illicites, que le consentement des individus. Mais qu’entend-on par consentement?” s’interroge la philosophe Michela Marzano dans son ouvrage Je consens, donc je suis (2006). Son livre est à lire, de toute urgence!

Ci-dessous quelques extraits en guise d’introduction:

“Nombreux sont ceux qui défendent le consentement sans jamais s’interroger sur les contraintes sociales, culturelles, économiques et psychologiques qui influencent considérablement les choix individuels” (p.1)

“Est-il, au contraire, possible de continuer à défendre une position paternaliste de la morale, selon laquelle il existerait une conception déterminée du bien que peu de gens connaissent et qu’il faudrait imposer, bon gré mal gré, à tout le monde, indépendamment de leurs désirs et de leurs souhaits?” (p.2)

“Peut-on penser que le simple fait de donner son consentement à un acte modifie la nature de l’acte lui-même, au point qu’une action illégitime (par exemple un meurtre) deviennent légitime, uniquement en vertu du consentement donné?” (p.3)

“On a tendance aujourd’hui à prôner une morale du consentement en refusant toute « interférences », au nom d’une liberté totale et inconditionnelle. Mais en ignorant volontairement que le consentement s’inscrit toujours dans la réalité du vécu, on passe l’éponge non seulement sur les contraintes imposées à tout individu de l’extérieur et inhérente à la réalité humaine, mais aussi sur tous les conditionnements qui relèvent de l’intérieur de chacun. (p. 9)

“On fait semblant d’oublier que l’être humain est un être charnel et non pas un pur esprit ; qu’il s’inscrit, dans et par son corps, dans la fragilité d’une existence marquée par des limites indépassables telles que la finitude, la dépendance, l’impuissance originelle (p.10)

“Sans prétendre vouloir ici résoudre une querelle philosophique très complexe, notre but est de mettre en évidence certains enjeux des débats contemporains autour du consentement et de l’autonomie. Nous souhaitons par la montrer comment, à chaque fois que l’on cherche à simplifier la complexité du vécu–que ce soit dans le domaine de la médecine ou dans celui de la sexualité–, on risque de s’éloigner à la fois de la réalité et de l’éthique. (p. 12)

Et pour conclure, je partage plus que jamais sa conclusion qui se confirme quotidiennement lors de mes consultations :

“C’est par le discours qu’on exprime son « je ». Mais cette expression est complexe, et parfois les mots signifient autre chose que ce qu’ils semblent exprimer quand on les prend au pied de la lettre. Toute parole est habitée par l’ambivalence : celle du dire et de l’être, du vouloir et du désirer, d’une image que l’on tient à confirmer et d’un désir qu’on arrive pas à assumer complètement. C’est pourquoi il faudrait toujours se garder d’identifier une personne à son discours et croire que son désir est tout entier contenu dans ce qu’il dit. (p.226)

“En même temps, cela n’autorise personne à savoir pour l’autre, avant l’autre est à la place de l’autre, ce qu’il est de son désir. Car ne pas prendre au pied de la lettre la parole d’un individu ne signifie pas pour autant ne pas l’écouter, mais écouter ce qui est dit au-delà du simple énoncé. (p.226)

“Il ne s’agit pas d’intervenir sur la conduite de quelqu’un d’autre. On reste toujours dans l’impuissance face à autrui. Mais de là à vouloir faire de sa parole une justification éthique de sa conduite, il y a, il y aura toujours un chemin à parcourir. (p.226)

Michela Marzano, Je consens donc je suis…, PUF, Paris, 2006.

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